jeudi 17 février 2011

Episode 14 : « 12, 13, 14, 15... février ! »

Les journées ont très vite filé depuis mon dernier blog. Le Liban me prend… m’a repris, comme il sait si bien le faire. Je retourne donc à mon clavier tout en sirotant un thé arrosé d’un zeste de fleur d’oranger. Je suis installé face au Musée national et la forêt des pins en toile de fond. L’ocre et le vert saturent avec la pluie qui s’abat sur Beyrouth. Il pleut des seaux. Les rues ressemblent à des véritables torrents. Au chaud, je découvre la télé de Mezzo qui m’offre la symphonie numéro 4 de Mahler enregistrée à Lucerne. Sauf que… oui, des grésillements, suivis d’une coupure d’électricité. Je les avais presque oubliées celles-là ! Réglées comme des métronomes… Musique ! Non : re-coupure ! Et encore une ! Un véritable bouquet aujourd’hui. Je m’évade, malgré tout. Et repense aux dernières journées écoulées et les redessine.
Jours de fête
Tout d’abord, il y a ce week-end de quatre jours, du 12 au 15. Bon, d’accord, cela ne change pas grand chose en période sabbatique mais, tout de même, on devient moins seul, beaucoup moins ! Je me met en congé avec mon entourage. À samedi et dimanche s’ajoutent donc le lundi 14 février, en mémoire de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri disparu à cette date-là en 2005, et le mardi 15 pour la naissance du Prophète Mahomet. Le tout, quelques jours après la fête de Saint Maron, célébré le 9 février. Diversité, quand tu nous tiens…
Le 14, c’est aussi la Saint-Valentin. Ma fête préférée de l’année… Hum, hum. Très bien, je vais faire attention parce que la psy de l’excellente télé-animation « Ça se discute » a affirmé en substance que ceux qui n’aiment pas la Saint-Valentin sont des radins et des rabats-joie. Grosso modo. Oulalah, vilain ! Suis mal barré ! Très psychologue, la dame ! Je regrette seulement que la date ait été trop facilement livrée à l’imagination plate et parfois très, trop kitsch rose-rouge-mauve bonbon de quelques commerçants en mal de créativité. La tête de certaines vitrines ici ! Aïe, aïe, aïe ! Rouges, rouges, rouges ! C’est une véritable vénération. Bref. En tout cas, j’ai particulièrement apprécié cette édition…
Samedi maritime et muséal
Le Mathaf, superbe bâtiment
des années trente
 (copyright - Z. Haddad).
Un fût en forme de papyrus
(copyright - Z. Haddad).

Ma fin de semaine donc ! Elle a commencé au bord de la mer de Dbayeh, à mi-chemin entre Jounieh et Beyrouth. Incroyable petit moment d’éternité à des lieues de tout, comme si rien n’existait plus autour. Sous le soleil de février, la mer à bras ouverts. Mais qu’est-ce qu’elle est belle ! Un bonheur que je savoure assis ou couché sur les rochers, debout ou en pleine course pour en saisir chaque seconde, chaque bouffée ! Failli rater une marche avec ça… la tête dans les nuages.
L’après-midi, je file avec mes couleurs sur le front et le nez au Musée national pour y redécouvrir les joyaux polyculturels protégés, pour certains, des coups de la guerre de 1975, sous d’imposants blocs de béton. C’est d’ailleurs le cas de la pièce maîtresse des lieux : le sarcophage du roi Ahiram de Byblos, sur lequel on trouve les premières inscriptions alphabétiques. Phéniciennes. Un ange passe. Napoléon aurait pu dire quelque chose comme : « Des millénaires de dialogue nous contemplent. » Impressionnant. Tout de même. Le reste de la visite me montre à quel point les ancêtres des Libanais se sont inspiré des civilisations qui leur ont rendu une visite plus ou moins longue : Assyriens, Egyptiens, Romains, Grecs. On se croirait tout à la fois dans les musées du Caire, d’Athènes et de Rome. Diversité, quand tu nous tiens…
Le sarcophage du roi Ahiram de Byblos
(copyright - Z. Haddad).
Première inscription alphabétique sur le sarcophage d'Ahiram
(copyright - Z. Haddad).
Alexandre le Grand, Europe, Septime Sévère, l'Histoire avec un grand h et ses mythes défilent sous mes yeux. Je découvre aussi une intéressante représentation de Beit-Il, divinité phénicienne féminine-masculine... masculine-féminine. Visionnaire dualité... À propos, je n’ose presque plus parler de Phénicie : en effet, pour mon guide du jour, l’héritage phénicien est aujourd’hui quelque peu galvaudé en raison de l’accaparement qu’en aurait fait une partie de la population libanaise, dès la création de la République. Une réflexion qui vourait ouvrir la porte à un débat constructif entre communautés, pour plus de compréhension mutuelle autour d’une histoire commune. Si le rêve est de mise, l’idée est en tout cas très séduisante.
Les yeux pleins d’images et d’histoires, je laisse les colonnades en forme de papyrus du Mathaf pour une balade, rue de Damas, quartier universitaire et culturel. Ce musée à pour moi quelque chose de mythique. D’inexplicable. Terminé en 1937, avant l’indépendance de 1943, ce magnifique édifice voulu par Antoine Nahas et Pierre Leprince Ringuet a connu la renommée, subi le bruit des bottes, la poudre, l’humidité, le feu, les graffitis, avant de renaître à la fin des années 1990. Il est surtout un bâtiment d’une belle modernité, à la muséographie exceptionnelle et fort du dynamisme envié des spécialistes qui l’alimentent. Il est aussi une porte sur l’hippodrome de Beyrouth, magnifique anneau de terre brunâtre et de pins qui, outre les courses, accueille chaque année les Journées de la Science, manifestation calquée sur les Nuits de la Science genevoises. Si j’en parle, c’est que j’ai eu le plaisir de travailler sur ce projet en collaboration avec les deux municipalités… Voilà, assez de Mathaf, pour l’heure.
Dimanche batrounien
Batroun, à une cinquantaine de kilomètres
au nord de Beyrouth (copyright - Z. Haddad).
Le brillant soleil de samedi joue à cache-cache pendant la journée de dimanche. Lorsque j’arrive à Batroun, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Beyrouth, je suis sous la pluie et dans la boue. Le petit port antique est en train de faire peau neuve. Des travaux et des remblais sur le front de mer, des échafaudages pour agrandir et renforcer le parc immobilier, le développement d’une signalétique indiquant les lieux phares de la ville : Batroun en mouvement semble pourtant bien calme sous l’eau qui l’arrose et la rend un peu triste, malgré quelques percées solaires.
Un brin refroidi, beaucoup ébouriffé par le vent, je me tourne vers les couleurs de la mer agitée. Royale. Mes pas me mènent également vers d’autres plaisirs : ceux de la table tout d’abord avec un bar grillé au sel et dégusté en la meilleurs compagnie du monde ; ceux de la marche et de la découverte ; ceux liés à la découverte de toutes ces maisons typiques retapées ou en cours de réfection, un régal d’autant plus comble que les règles de l’art on été respectées, loin de toute « kitsherie ». Merci, Batrouniens, pour ça… et pour votre accueil chaleureux.
Le retour vers la capitale se fait à la lumière d’un somptueux soleil couchant et se fondant littéralement dans la Méditerranée. Sans oublier, bien sûr, les traditionnels embouteillages du dimanche soir ramenant chacun dans ses pénates après les excursions du week-end. Et, devinez quoi ! Demain soir, on remet déjà ça avec, pour l’heure, une avalanche de projets tous aussi séduisants les uns que les autres. À suivre donc…

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